J'AI PERDU MES CREEPERS

0-17 ans : exceptionnel, votre fils est exceptionnel, des notes à la naissance en bas du tableau, fallait pas mourir à la naissance pour avoir 20/20 mais des 15 points de suture au BEPC votre fils est plutôt exceptionnel. Une espèce de fils de avec un truc en plus, des cheveux blonds d'une extrême blondeur exceptionnelle, le seul que l'on remarque dans une cours de récrée parmi mes amis portugais au collège en plein centre de Nancy. Vous le saviez monsieur que votre fils est exceptionnel, peut-être un artiste? Mon père n'a jamais répondu. 17 ans-éternité : un mec ordinaire !!! Il avait raison d'attendre avant de répondre... A mon entrée dans le cercle fermé des crêtes rouges et des Doc's Marteens bordeaux jusqu'aux genoux, quand j'ai commencé à boire de la bière avec la coupe de cheveux du fils de Claude François dans le TER Nancy-Metz avec des potes aussi tarés que Poutine sur un ours polaire j'ai compris que j'étais devenu un garçon ordinaire, rien dans l'âme, rien dans le sac à dos, ma vie m'avait jeté au milieu d'artistes, rien que dans ma chambre d'internat j'avais un punk qui jouait dans un groupe de.....punk, ensuite un guitariste poète avec qui j'ai fini par faire de la collocation dans un appart de folie où les artistes se suivaient et prenaient des tickets d'entrée et des turcs qui coupaient des pains de shit sur mon bureau, un metaleux qui avaient les cheveux plus longs que la rue de la République de Metz qu'il a mis à sac en retournant chaque bagnole d'un coup de rein, ouai il y a des gens comme ça dans ma vie et moi au milieu qui n'a aucune valeur ajoutée, rien dans l'âme, pas même artiste, juste un spectateur d'une vie qui va trop vite, dans des délires avec des filles qui dorment dans mon lit et que je ne touche pas, des soirées et des semaines sans dormir jusqu'au BAC pour finir dans les épreuves complétement bourré ou défoncé ou les deux. Mais je reste un type ordinairien qui regarde depuis sa fenêtre de bureau un parking en pleurant d'être si ordinaire. Quand je chuchotais à l'oreille de mon camarade de classe en 4ème que je l'aimais, j'étais encore exceptionnel, il est devenu un artiste de folie, reconnu dans le monde entier. Dans cet appart quand je me suis retrouvé avec une chanteuse de Paris qui fleurtait avec mon coloc, quand on finissait par chanter des soirées entières les classiques de la chanson française...je me prenais pour un artiste mais le matin venu, ou le dimanche chez mes parents j'étais de nouveau le type ordinaire, invisible. Une âme d'artiste dans la mauvaise tête et un esprit étriqué de prolo dans une banlieue nancéienne avec mon chien comme couverture exploratrice dans les bois du château où la peste avait décimé les moines. J'ai évolué sur une piste de cirque multicolore sans jamais atteindre le trapèze, juste une gamelle de clown qui fait rire en coulisse mais qui ne se voit jamais quand les caméras hurlent ON TOURNE. J'ai cinquante-quatre ans et je suis de plus en plus ordinaire, je rêve de mes cheveux blonds qui faisaient pleurer ma prof d'anglais quand je chantais un tube de Scorpions avec une voix sublime, cette voix qui a fini par cramer avec ma maladie, les cordes vocales bousillées d'avoir crié à l'aide. Une exceptionnelle performance quand j'ai perdu tous mes cheveux pour ne plus devenir blond pour le restant de ma vie!!! Que dire des artistes que j'ai rencontrés depuis les 17, même en cellule quand j'avais fait des burns avec une 4L à Hayange complétement déchiré, que dire des Tympans Félés, un groupe d'heavy metal que j'ai suivi jusque dans les sous-sols sombres de Talange et que le chanteur était assis à côté de moi en cours de mécanique des fluides, que dire de mon coloc qui a fini dans une tribu africaine je ne sais plus pourquoi finalement, que dire des allumés du festival de Dieuuulouaiiiiird qui m'ont fait halluciner pendant quelques années, des artistes exceptionnels pour le coup, que dire des performeurs, des sculpteurs, des peintres avec qui j'ai fumé picolé mangé des pizzas...sans jamais rien comprendre, parce que je ne suis pas un artiste, parce que je suis un type ordinaire, invisible. Qui se souvient de ça ? Je n’ose même plus sortir. Et dans cet enfer j'ai tenté d'élever mon fils pour qu'il devienne moins ordinaire que moi et il avait réussi, un peu, un guitariste pas trop mauvais, un compositeur quand il a le temps, une vraie âme d'artiste, un rêveur...mes cheveux blonds commençaient à repousser du coup....jusque....bah je ne sais pas en fait, une espèce de nuage avec des poussières ordinaires qui a pulvérisé son ordinarisme sur mon fils devenu du coup ordinaire, peut-être par manque de temps, peut-être à cause de Netflix, certainement à cause de l’argent. Ainsi va la vie, dans le positif je demande le père l'anonymat et la mère la mort, tu as toutes les cartes de la famille pour tout abattre sur la table en formica de la cuisine...Demain une journée ordinaire pour ce type ordinaire, heureusement que je rêve quand je dors sans avoir bu ce Chardonnay pour m’anesthésier. Tiens, la nuit dernière j'ai rêvé que je gravissais une araignée métallique à l'envers et que je ne tombai pas sur la tronche.....finalement j'ai quand même eu 15 points de suture que je cache maintenant avec une barbe grise........................... Madloonflayed©2023-j'ai quand même un nom de scène....hahaha le blaireau jusqu'au bout hein !