lundi 25 avril 2016

BLACK BLANC BEUR



Je suis de cette génération Black Blanc Beur, cette génération qui ne regardait pas les couleurs de peau, ni  les noms. Une génération de pacifistes. Mais attention pas la génération BBB de 1998 en rapport avec le foot de merde, nan  nan, la vraie BBB, celle des années 80-90. L’ultime. Tu sais celle où on allait tous à l’école et on tenait la main du congolais pour rentrer en classe, ou la main de l’arabe, ou celle de la chinoise, même que t’étais amoureux de la chinoise, sans avoir des envies subites de meurtre. Tu vois cette génération où tu racontais des conneries à la récré avec toutes les couleurs de peau, cette génération où embrasser Fatima sur la bouche ne posait aucun problème, enfin on avait toujours peur des frangins mais c’était ça l’amour. Cette génération qui parlait ouvertement des parents des autres aux autres à chaque réunion parents-profs. Sans se prendre un coup de couteau dans le bide parce que tu avais dit que la mère de Rachid portait tout le temps un foulard sur la tronche, même en été et que c’était un peu barge quand même. Cette génération qui serait dans ses bras Mouhcine (ça se prononce Mouchine) quand tu avais un gros chagrin, car Mouhcine c’était le grand frère, celui avec qui toutes les peurs disparaissaient avec les larmes. Cette génération qui tapait le ballon aux pieds des immeubles, pas cette génération dorlotée dans les quartiers riches de Nancy, nan nan, moi je suis de celle qui vivait dans les quartiers populaires du Haut Du Lièvre, au 15ème étage du Blanc Sycomore. On jouait aux billes avec Félicien, un black que tu pouvais perdre dans la nuit, avec Mohamed qui en avait marre de son père trop stricte, avec Eléonore la fille des îles parait-il. Cette génération qu’on ne traitait pas de racaille, moi le petit blondinet, le Beatles comme aimait m’appeler ma prof d’anglais. Cette génération qui a grandi avec l’idée que la vie serait aussi douce que dans les jardins d’enfants, de tous les enfants BBB. Cette génération où les parents ne servaient pas au ptit déj leur haine contre les « juifs », les « noirs », les « bougnoules », les » jaunes » et les « bronzés », car nous vivions tous ensembles dans une tour de 17 étages au milieu d’autres tours de 17 étages. Cette génération où papa pouvait garer sa voiture sur le parking et où tu te prenais un coup de pied au cul si tu lançais le ballon sur une voiture pas loin de celle de papa, où même le blondinet, le blanc aux cheveux couleur des blés que j’étais, prenait un coup de latte si il répondait mal au monsieur dans l’ascenseur. Cette génération qui allait acheter les clopes de papa au complexe commercial de La Cascade à 9 ans avec Mohamed et Félicien, même que Félicien faisait tourner en bourrique le buraliste, qui finissait toujours par attraper Félicien et lui filait…un bonbon en lui demandant d’être sage sinon il allait le dire à son père, tu sais le grand monsieur noir avec des bras aussi gros que des jambes. Cette génération où tu pouvais te foutre de la gueule de Jean-Rose-Marie, parce que un prénom comme ça bah vlà la honte, pis surtout se foutre de sa gueule à chaque fois qu’il revenait du coiffeur, avec ses cheveux crépus, tout le monde voulait toucher ses cheveux, ta main rebondissait dessus, un truc de ouf, mais Jean-Rose-Marie finissait toujours par éclater de rire et nous fonçait dessus tête en avant pour nous faire croire qu’il rebondissait sur nous, ce qu’il était drôle lui. Cette génération où Mohamed qui faisait toujours le malin, proposait toujours à la vieille dame, celle qu’on disait qu’elle avait un sac à dos en dessous de sa blouse pour tchâre des trucs à l’épicier tellement elle était bossue, de porter son sac de courses jusqu’au palier de son appartement, même que Mohamed il poussait des soufflements parce que le sac était méga lourd, et la vieille même qu’elle ne lui donnait queudalle et il était en colère Mohamed sur le retour, mais jamais il ne l’insultait, et à chaque fois, chaque jour, il lui portait son sac de courses méga lourd, mais il savait qu’à Noël il avait un cadeau, mais pas nous. Mohamed disait qu’on avait de la chance de faire Noël, alors des fois il venait dans le couloir et on lui filait nos pains d’épices en forme de Père Noël. Mais cette génération s’étiole, et même beaucoup, à coup de pelle média, à coup de politique à la con. J’ai revu Mouhcine, même qu’il est éducateur spécialisé pour enfants handicapés moteur et mental, comme quoi il ne faisait pas semblant quand il faisait le grand frère, et il m’a dit qu’il était tombé dans l’obscure, le néant et qu’il vote pour le FN depuis des années, je n’ai pas compris sur le moment, mais il ne supporte plus cette nouvelle génération de Beurs qui le mettent dans une situation pas confortable avec sa couleur de peau et son accent arabe. Il est musulman comme moi je suis chrétien. Mais du coup il n’a plus rien de rassurant le grand frère sérieux. Parait que Félicien est en tôle, parait même qu’il serait mort, abattu comme un chien, alors que c’est le blondinet qui a exploré toutes les drogues, tous les vices. Fatima porte le voile aujourd’hui mais plus de mini-jupe, dommage. Mohamed est en tôle aussi, il a dépouillé une grand-mère sur le parking couvert du Leclerc et l’a frappé au visage. Le blondinet que je suis se défonce maintenant au vin blanc et va mourir un jour de son cancer, un alcoolo dans un corps laid, lui si blond et si beau, se laisse aller jusqu’à la dernière lumière blanche. Mass Média s’occupe des nouvelles générations, à grands coups de haine, de violence, d’intolérance. D’autres leur font croire que ça existe encore les BBB mais ils font semblant, il suffit de lire sur les réseaux sociaux la haine à chaque attentat. Je ne crois plus en rien, moi le poète, moi qui lisais les livres à voix haute à mes amis de toutes les couleurs quand nous étions assis dans l’entrée de cet immeuble, moi qui embrassait Eléonore sur la bouche en chuchotant des je t’aime pour la vie. J’étais un vrai Black Blanc Beur moi mais qu’en est-il maintenant ? Franchement tu ne voudrais pas le savoir, nan nan nan !!!

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