Je suis de cette génération Black Blanc Beur, cette
génération qui ne regardait pas les couleurs de peau, ni les noms. Une génération de pacifistes. Mais
attention pas la génération BBB de 1998 en rapport avec le foot de merde,
nan nan, la vraie BBB, celle des années
80-90. L’ultime. Tu sais celle où on allait tous à l’école et on tenait la main
du congolais pour rentrer en classe, ou la main de l’arabe, ou celle de la
chinoise, même que t’étais amoureux de la chinoise, sans avoir des envies
subites de meurtre. Tu vois cette génération où tu racontais des conneries à la
récré avec toutes les couleurs de peau, cette génération où embrasser Fatima
sur la bouche ne posait aucun problème, enfin on avait toujours peur des
frangins mais c’était ça l’amour. Cette génération qui parlait ouvertement des
parents des autres aux autres à chaque réunion parents-profs. Sans se prendre
un coup de couteau dans le bide parce que tu avais dit que la mère de Rachid
portait tout le temps un foulard sur la tronche, même en été et que c’était un
peu barge quand même. Cette génération qui serait dans ses bras Mouhcine (ça se
prononce Mouchine) quand tu avais un gros chagrin, car Mouhcine c’était le
grand frère, celui avec qui toutes les peurs disparaissaient avec les larmes.
Cette génération qui tapait le ballon aux pieds des immeubles, pas cette
génération dorlotée dans les quartiers riches de Nancy, nan nan, moi je suis de
celle qui vivait dans les quartiers populaires du Haut Du Lièvre, au 15ème
étage du Blanc Sycomore. On jouait aux billes avec Félicien, un black que tu
pouvais perdre dans la nuit, avec Mohamed qui en avait marre de son père trop
stricte, avec Eléonore la fille des îles parait-il. Cette génération qu’on ne
traitait pas de racaille, moi le petit blondinet, le Beatles comme aimait m’appeler
ma prof d’anglais. Cette génération qui a grandi avec l’idée que la vie serait
aussi douce que dans les jardins d’enfants, de tous les enfants BBB. Cette
génération où les parents ne servaient pas au ptit déj leur haine contre les « juifs »,
les « noirs », les « bougnoules », les » jaunes »
et les « bronzés », car nous vivions tous ensembles dans une tour de
17 étages au milieu d’autres tours de 17 étages. Cette génération où papa
pouvait garer sa voiture sur le parking et où tu te prenais un coup de pied au
cul si tu lançais le ballon sur une voiture pas loin de celle de papa, où même
le blondinet, le blanc aux cheveux couleur des blés que j’étais, prenait un
coup de latte si il répondait mal au monsieur dans l’ascenseur. Cette génération
qui allait acheter les clopes de papa au complexe commercial de La Cascade à 9
ans avec Mohamed et Félicien, même que Félicien faisait tourner en bourrique le
buraliste, qui finissait toujours par attraper Félicien et lui filait…un bonbon
en lui demandant d’être sage sinon il allait le dire à son père, tu sais le
grand monsieur noir avec des bras aussi gros que des jambes. Cette génération
où tu pouvais te foutre de la gueule de Jean-Rose-Marie, parce que un prénom
comme ça bah vlà la honte, pis surtout se foutre de sa gueule à chaque fois qu’il
revenait du coiffeur, avec ses cheveux crépus, tout le monde voulait toucher
ses cheveux, ta main rebondissait dessus, un truc de ouf, mais Jean-Rose-Marie
finissait toujours par éclater de rire et nous fonçait dessus tête en avant
pour nous faire croire qu’il rebondissait sur nous, ce qu’il était drôle lui. Cette
génération où Mohamed qui faisait toujours le malin, proposait toujours à la
vieille dame, celle qu’on disait qu’elle avait un sac à dos en dessous de sa
blouse pour tchâre des trucs à l’épicier tellement elle était bossue, de porter
son sac de courses jusqu’au palier de son appartement, même que Mohamed il poussait
des soufflements parce que le sac était méga lourd, et la vieille même qu’elle
ne lui donnait queudalle et il était en colère Mohamed sur le retour, mais
jamais il ne l’insultait, et à chaque fois, chaque jour, il lui portait son sac
de courses méga lourd, mais il savait qu’à Noël il avait un cadeau, mais pas
nous. Mohamed disait qu’on avait de la chance de faire Noël, alors des fois il
venait dans le couloir et on lui filait nos pains d’épices en forme de Père
Noël. Mais cette génération s’étiole, et même beaucoup, à coup de pelle média,
à coup de politique à la con. J’ai revu Mouhcine, même qu’il est éducateur
spécialisé pour enfants handicapés moteur et mental, comme quoi il ne faisait
pas semblant quand il faisait le grand frère, et il m’a dit qu’il était tombé
dans l’obscure, le néant et qu’il vote pour le FN depuis des années, je n’ai
pas compris sur le moment, mais il ne supporte plus cette nouvelle génération
de Beurs qui le mettent dans une situation pas confortable avec sa couleur de
peau et son accent arabe. Il est musulman comme moi je suis chrétien. Mais du
coup il n’a plus rien de rassurant le grand frère sérieux. Parait que Félicien
est en tôle, parait même qu’il serait mort, abattu comme un chien, alors que c’est
le blondinet qui a exploré toutes les drogues, tous les vices. Fatima porte le
voile aujourd’hui mais plus de mini-jupe, dommage. Mohamed est en tôle aussi,
il a dépouillé une grand-mère sur le parking couvert du Leclerc et l’a frappé
au visage. Le blondinet que je suis se défonce maintenant au vin blanc et va
mourir un jour de son cancer, un alcoolo dans un corps laid, lui si blond et si
beau, se laisse aller jusqu’à la dernière lumière blanche. Mass Média s’occupe
des nouvelles générations, à grands coups de haine, de violence, d’intolérance.
D’autres leur font croire que ça existe encore les BBB mais ils font semblant,
il suffit de lire sur les réseaux sociaux la haine à chaque attentat. Je ne
crois plus en rien, moi le poète, moi qui lisais les livres à voix haute à mes
amis de toutes les couleurs quand nous étions assis dans l’entrée de cet
immeuble, moi qui embrassait Eléonore sur la bouche en chuchotant des je t’aime
pour la vie. J’étais un vrai Black Blanc Beur moi mais qu’en est-il maintenant ?
Franchement tu ne voudrais pas le savoir, nan nan nan !!!
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