Elle est arrivée dans ma vie par un soir d’été, désœuvré je
cherchais à rentrer chez moi, le chemin était pourtant le même qu’hier. Perdu
dans ces vêtements prêtés par l’armée française, je croyais que je montais vers
la maison de mes parents alors que mes pas allaient vers l’inconnu. Je suis
rentré dans cette caravane que je connaissais, je connaissais aussi le dingue
qui y vivait. Lui était poissonnier, moi je faisais mon service militaire.
Pourquoi étais-je dans cette caravane, pourquoi était-il aussi gentil, pourquoi
il faisait pousser de la marijuana dans des jardinières, pourquoi il buvait du
whisky, pourquoi je me suis assis dans ce fauteuil ? Aujourd’hui je ne
sais plus, je sais juste que ce type était formidable, inconnu connu. A chaque
fois que le bus me balançait dehors à cet arrêt, je fonçais dans sa caravane,
nous inventions des histoires, nous inventions nos vies, nous inventions le
fait d’être libre et de fumer de l’herbe. Il devenait indispensable de parler
aux plants de marijuana, les botanistes le disent, il faut parler aux plantes.
Je n’avais plus de salive. Et la littérature a croisé nos délires, je ne sais
pas d’où ce mec était poissonnier, il avait tellement lu. Un soir où le ciel
était certainement le même que la veille, il m’a donné cette guitare. Je n’avais
jamais parlé de cette guitare. Mais il me l’a donné, je l’avais trop regardé,
elle était donc à moi. Dans mon costume, je suis parti avec la guitare sur l’épaule.
Le bus m’a éjecté le lendemain, je me suis encore perdu et je suis allé vers la
caravane, personne, plus de jardinières, plus de Franck. Où es-tu ? Je ne
le saurais jamais, il a décidé de disparaître et je ne l’ai jamais revu, il a
planté ma vie, je n’ai jamais réussi à combler ce vide, je n’ai jamais réussi à
oublier, je vis avec lui depuis toutes ces années sans le voir, Franck a
disparu, sa Renault 18 turbo aussi, la caravane est vide. Alors cette guitare
reste le seul lien que j’ai encore avec lui, et j’ai décidé qu’elle devait
maintenant revivre, parce que j’ai envie de la toucher, j’ai envie de lui
raconter cette histoire, juste pour me rappeler qu’il existe des humains sur
cette terre et que rien ne peut me les faire oublier. Franck où que tu sois, tu
es toujours avec moi.
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