vendredi 24 août 2018

TROP FAIBLE POUR CROQUER DANS UNE POMME.



Tu définirais comment un pote qui se suicide ? Connard tu vas me manquer, ou alors à l’envers bien fait pour sa gueule, ou enfin, ou quel égoïste, ou bordel quel lâche, ou cet enfoiré et mes dix balles, ou je ne l’aimais plus, ou merde il faisait quoi déjà ? Jusqu’au jour ! Ils sont tous bien calés à se demander pourquoi, comment, devant le café chaud, j’sais pas. Bah je ne parlerai plus. Tout va bien se passer, c’est à peine si on le connaissait, il était pédé ou quoi ? J’sais pas. Je vais bien ne t’en fais pas. C’est comment la dépression, attends je vais la trahir et te raconter, car je suis encore en vie. Tout en souffrance, derrière la transparence mais une âme noire, sacrifiée, tu filtres les regards qui te filtrent. Certains ne voient que les billets que tu as enfoncés dans tes poches pour pouvoir bouffer mais ils les veulent alors qu’ils trainent des sacs trop lourds de lingots d’or. Alors il faut que tu fasses plaisir pour avoir un sourire on dirait, juste pour intégrer un groupe, leur groupe, « la famille ». Le fait d’être juste humain ne suffit plus, il faut donner encore et encore. Et ils te lancent en remerciement un petit « peut-être ». Petit tu donnais sans rien attendre, juste parce que la vie c’était la vérité, dans la rue tu donnais ton pain au chocolat aux clodos en allant à l’école, hier un clodo c’était un homme fait de chair et d’os comme toi, mais il le mangeait et tu courais pour éviter qu’il te voit en train de chialer, parce que ce vieux bonhomme était assis sur le sol trempé, il avait les yeux baissés tous les jours, les larmes tombant comme de l’acide. Tu as 49 ans et tu te rends compte que tu n’as toujours pas changé, guidé par tant d’étoiles, toutes celles que tu n’as jamais réussi à sauver du froid, de la faim, des guerres, pourtant tu ne vas plus à l’école mais tu étudies tout le temps et tu ne manges plus de pain au chocolat et de toute façon les clodos te crachent à la gueule maintenant. Alors tu ne donnes plus rien, enfin si tu donnes tous les jours en fait, juste en restant humain. Cela coûte cher en psychothérapie mais même les psys commencent à t’abandonner. Alors tu t’enfermes dans ton 11ème sous-sol écrasé par le poids de ton être vivant, tu parles, tu danses, tu pleures, tu souffres et tu cries mais les murs sont épais sous la terre. Ta dépression est inopérable bien cachée entre le cœur et le cerveau, pas de chimio, pas de thérapie, pas de médecin, tu es beaucoup trop humain et tu as les yeux noirs. De toute façon personne ne te voit, ne la voit, en même temps ce n’est pas écrit sur ton corps, tu as juste tatoué « je vais bien ne t’en fais pas » sur ton cou, ça rassure les gens qui t’entourent. Mais derrière tes yeux noirs tout est déchiré, déchiqueté, laissé aux abîmes de l’alcool. Rien que d’entendre une portière se fermer dans la rue t’agace, le simple fait de parler à côté de toi t’irrite la peau, même si c’est dans le silence ou dans le bruit, le chien du voisin qui aboie te projette dans des idées de meurtre à coup de poings. Tu ne vas même plus chercher ton courrier au bout de la rue en plein jour, tu promènes ton chien seulement la nuit comme un voyou chercheur de drogue. Tu tentes quelques promenades en forêt mais l’apparence d’un bipède à cent mètres te fait faire des détours et tu finis épuisé avec juste l’envie de ne jamais rentrer. Tu tisses une toile sur la toile, unique rempart à la descente finale et fatale le long de la paroi rocheuse et pourtant c’est bien cette toile qui te bouscule à chaque fois que tu te penches pour regarder en bas, putain que c’est haut. Plus t’essaies de « rentrer » vers l’extérieur, plus t’essaies de sourire et plus ça te détruit. Tu ne mets plus que des chemises à col mao pour qu’ils ne voient que ton tatouage sur ton cou. Chaque jour tu angoisses sur ton portable à chaque mots oubliés de ton minot qui rentre tard ou qui ne rentre pas, ce gouffre d’heures plongé dans les nuits blanches, prendre rdv pour changer les pneus de ton panzer devient un combat contre un ours enragé et affamé, le moindre craquement, la moindre fuite d’eau se transforment en montée impossible sous la pluie en scooter. Et à chaque fois que tu arrives à te poser le long de la paroi certains juste pour avoir la meilleure place te bazardent des coups de lattes pour que tu dégringoles de nouveau. Toujours. La dépression, on en parle si tu veux…j’ai des doutes !!!!!

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