Tu définirais comment un pote qui se suicide ? Connard
tu vas me manquer, ou alors à l’envers bien fait pour sa gueule, ou enfin, ou
quel égoïste, ou bordel quel lâche, ou cet enfoiré et mes dix balles, ou je ne l’aimais
plus, ou merde il faisait quoi déjà ? Jusqu’au jour ! Ils sont tous
bien calés à se demander pourquoi, comment, devant le café chaud, j’sais pas.
Bah je ne parlerai plus. Tout va bien se passer, c’est à peine si on le
connaissait, il était pédé ou quoi ? J’sais pas. Je vais bien ne t’en fais
pas. C’est comment la dépression, attends je vais la trahir et te raconter, car
je suis encore en vie. Tout en souffrance, derrière la transparence mais une
âme noire, sacrifiée, tu filtres les regards qui te filtrent. Certains ne
voient que les billets que tu as enfoncés dans tes poches pour pouvoir bouffer
mais ils les veulent alors qu’ils trainent des sacs trop lourds de lingots d’or.
Alors il faut que tu fasses plaisir pour avoir un sourire on dirait, juste pour
intégrer un groupe, leur groupe, « la famille ». Le fait d’être juste
humain ne suffit plus, il faut donner encore et encore. Et ils te lancent en
remerciement un petit « peut-être ». Petit tu donnais sans rien
attendre, juste parce que la vie c’était la vérité, dans la rue tu donnais ton
pain au chocolat aux clodos en allant à l’école, hier un clodo c’était un homme
fait de chair et d’os comme toi, mais il le mangeait et tu courais pour éviter
qu’il te voit en train de chialer, parce que ce vieux bonhomme était assis sur
le sol trempé, il avait les yeux baissés tous les jours, les larmes tombant
comme de l’acide. Tu as 49 ans et tu te rends compte que tu n’as toujours pas
changé, guidé par tant d’étoiles, toutes celles que tu n’as jamais réussi à
sauver du froid, de la faim, des guerres, pourtant tu ne vas plus à l’école mais
tu étudies tout le temps et tu ne manges plus de pain au chocolat et de toute
façon les clodos te crachent à la gueule maintenant. Alors tu ne donnes plus
rien, enfin si tu donnes tous les jours en fait, juste en restant humain. Cela
coûte cher en psychothérapie mais même les psys commencent à t’abandonner.
Alors tu t’enfermes dans ton 11ème sous-sol écrasé par le poids de
ton être vivant, tu parles, tu danses, tu pleures, tu souffres et tu cries mais
les murs sont épais sous la terre. Ta dépression est inopérable bien cachée
entre le cœur et le cerveau, pas de chimio, pas de thérapie, pas de médecin, tu
es beaucoup trop humain et tu as les yeux noirs. De toute façon personne ne te
voit, ne la voit, en même temps ce n’est pas écrit sur ton corps, tu as juste
tatoué « je vais bien ne t’en fais pas » sur ton cou, ça rassure les
gens qui t’entourent. Mais derrière tes yeux noirs tout est déchiré,
déchiqueté, laissé aux abîmes de l’alcool. Rien que d’entendre une portière se
fermer dans la rue t’agace, le simple fait de parler à côté de toi t’irrite la
peau, même si c’est dans le silence ou dans le bruit, le chien du voisin qui
aboie te projette dans des idées de meurtre à coup de poings. Tu ne vas même
plus chercher ton courrier au bout de la rue en plein jour, tu promènes ton
chien seulement la nuit comme un voyou chercheur de drogue. Tu tentes quelques
promenades en forêt mais l’apparence d’un bipède à cent mètres te fait faire
des détours et tu finis épuisé avec juste l’envie de ne jamais rentrer. Tu
tisses une toile sur la toile, unique rempart à la descente finale et fatale le
long de la paroi rocheuse et pourtant c’est bien cette toile qui te bouscule à
chaque fois que tu te penches pour regarder en bas, putain que c’est haut. Plus
t’essaies de « rentrer » vers l’extérieur, plus t’essaies de sourire
et plus ça te détruit. Tu ne mets plus que des chemises à col mao pour qu’ils
ne voient que ton tatouage sur ton cou. Chaque jour tu angoisses sur ton
portable à chaque mots oubliés de ton minot qui rentre tard ou qui ne rentre
pas, ce gouffre d’heures plongé dans les nuits blanches, prendre rdv pour
changer les pneus de ton panzer devient un combat contre un ours enragé et
affamé, le moindre craquement, la moindre fuite d’eau se transforment en montée
impossible sous la pluie en scooter. Et à chaque fois que tu arrives à te poser
le long de la paroi certains juste pour avoir la meilleure place te bazardent
des coups de lattes pour que tu dégringoles de nouveau. Toujours. La
dépression, on en parle si tu veux…j’ai des doutes !!!!!
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