Je me vois assis sur ce magnifique banc en bois massif
regardant les moulures accrochées au plafond gigantesque du conservatoire de
Nancy. J’entends le son vibrant sortir de cette pièce au travers de cette porte
immense arrachée à un château fort ça c’est sûr, ce son que mon grand frère
fait sortir de son corps d’harmonie, ce bidule immense que mon père peine à
mettre dans la Renault 12 TS verte à chaque fois. Mon grand frère ce musicien,
ce prodige, je vois aussi son professeur de musique les yeux décrochés d’admiration.
Je me vois surprenant mon père refoulant ses larmes en écoutant son fils
prodige, mon grand frère, ce putain de musicien, mon grand frère modèle qui va
certainement intégrer le Grand Conservatoire, oh oui, ça c’est sûr qu’a dit son
professeur de musique, oh oui. Je me vois assis sur son lit à toucher ce gros
bidule en cuivre, énorme, même que mon grand frère il use les torchons de ma
mère à force de le nettoyer ce truc. Impossible de souffler dans ce putain de
bordel, quelle merde. Mon grand frère lui il te sort des sons de ce truc, de la
musique, c’est beau. Mon grand frère ce prodige, ce musicien, la fierté de son
père. Je me vois assis dans la cuisine en face de mon père devant une assiette
de ratatouille et j’entends mon grand frère dire à mes parents qu’il arrête la
musique, définitivement, il ne veut plus faire de musique, mon grand frère qui
va intégrer une école prestigieuse de musique. Je me vois assis en face de mon
père, la tronche descendu de 25 étages au moins. Je vois ses larmes derrières
ses yeux, mais il ne pleure jamais mon père, oh non jamais. Je n’ai jamais
remangé de ratatouille depuis, jamais.
Je me vois là, planté devant le kiosque de la pépinière à
Nancy, devant mon père musicien, dans cet orchestre avec son beau costume et sa
deuxième voix entre les mains, cette clarinette, magnifique, rangée dans son
écrin de velours rouge le soir. Il est magique ce papa, avec ses cheveux noirs comme
le charbon et sa moustache. C’est mon papa qui joue de la clarinette, si si c’est
mon papa. Vas-y bouge ton vélo avec les petites roulettes derrière, moi je fais
du vélo sans roulettes car mon papa joue de la clarinette, même qu’il est
musicien à la Vaillante Saint Fiacre de Nancy. Je me vois parcourant les rues
de Nancy accroché à son bras, mon papa, ce musicien, même que mon papa il
connait tout le monde, même les putes de la place Saint Evre. Ces putes qui me
caressent les cheveux, mais mon papa il est le copain des putes, c’est parce
que mon papa il est musicien et tout le monde le connait, même les putes.
Partout où l’on va, tout le monde connait mon papa, ce musicien à la moustache
finement taillée. Impossible de souffler dans cette putain de clarinette,
quelle merde ce truc, mais mon papa lui il est musicien et il t’arrache les
poils des bras et d’ailleurs quand il joue de la clarinette. Quand j’ouvre
cette mallette en cuir avec son écrin en velours rouge à l’intérieur, c’est
comme si un pantin désarticulé allait sortir de ce bordel, j’ouvre tout
doucement en penchant la tête vers l’intérieur. Et là il y a la clarinette de
mon papa, ce musicien ce prodige, toute noire brillante avec ses boutons
partout, même que mon papa il bousille les torchons de ma mère tellement il
frotte cette merveille. Je n’ai jamais touché de lingot d’or mais j’ai touché
la clarinette de mon papa, ce musicien que tout Nancy connait « Tiens c’est
le fils de Régis, futur musicien lui aussi non ???!!!! » Je me vois
devant cette maison en construction à la campagne, loin de Nancy, et je vois
cette mallette noire rangée dans cette armoire, elle ne sort plus jamais, mon
papa travaille trop. Je me vois assis en face de mon papa, dans cette cuisine,
devant une soupe de légumes, les yeux ouverts sur ses doigts, ses doigts
magiques, ceux qui touchent les boutons de la clarinette. La mallette n’est
jamais ressortie depuis et je déteste la soupe de légumes.
Je me vois debout devant le jukebox de mon oncle, le patron
du bar du point central de Neuves-Maisons, frémissant au son d’Elvis Presley,
même que mon oncle il a les mêmes rouflaquettes qu’Elvis, on écoute du Rock’n’roll
chez mon oncle. Tiens c’est le fils de Régis, c’est un bon gamin lui, futur
musicien lui aussi Non ???? Et je peux jouer au billard sans payer moi et
au flipper aussi parce que je suis le filleul de Christian et le fils de Régis
même que mon oncle c’est le patron et même que sa femme c’est la plus belle
femme du monde.Et à la radio dans le bar c’est mon cousin qui cause car il est
animateur sur NRJ, même qu’il connait des gens importants parce que c’est un
artiste, il a une voix que personne ne peut avoir. IL est célèbre mon cousin et
il passe de la bonne musique et il connait plein de grands musiciens. Je ferai
de la radio moi aussi. Mon oncle a fermé le café du Point Central et je n’entends plus mon
cousin à la radio, mon cousin l’ami des musiciens. Mais je m’en fous moi j’écoute
la radio et même que je suis fan d’Elvis Presley, j’ai même acheté la même moto
que lui.
Je me vois assis sur cette chaise d’école inconfortable,
cette putain de chaise qui va me ramollir les fesses ça c’est sûr. Je suis
assis à côté de ce grand là, mon dieu qu’il est grand, la prof d’anglais nous a
mis ensemble, Didier Manuel et moi. Ça doit être un délire qu’elle s’est fait,
Didier Manuel Mini ça va plus vite pour nous gronder. Lui et moi sommes trop
forts en anglais et du coup nous n’avons plus le droit de lever le doigt, ça craint.
Didier me chope souvent mon cahier et il dessine dessus, ça c’est sûr je vais
encore me faire engueuler moi avec ses conneries. Il dessine trop bien, des
dragons, des requins, des aigles sur des poignards. Même que j’ai peint l’aigle
sur les tiroirs de mon bureau dans ma chambre, et il est toujours là, l’aigle
de Didier. Lui c’est un artiste mais moi je ne sais pas où il est après. C’est
sûr qu’il est devenu un artiste. Je me vois assis devant cet article de
journal, c’est Didier, il est comédien et Directeur du TOTEM, même que je ne
suis jamais allé au TOTEM. Alors je l’ai revu Chez Paulette et il ne m’a pas
reconnu, mais c’est un grand artiste, alors c’est normal. Je me vois assis sur
mon canapé l’ordinateur sur les genoux avec une assiette de je ne sais plus
quoi, heureusement sinon je n’en mangerai plus, je ne le vois plus, j’espère le
revoir, cet artiste, Didier Manuel.
Je me vois assis (putain on va finir par croire que je suis
un gros fainéant) dans cette pièce d’un appartement au cœur des cités
mosellanes, Fabrice le beau guitariste et mon pote, le grand Nicolas Kézic,
chanteur des Tympans Fêlés, son frère à la basse et un dingue à la batterie,
tous beaux comme des dieux, même que j’assiste à toutes leurs répètes. Des putains de musiciens, même que Nicolas est
à côté de moi en cours de mécanique des fluides, même qu’on ne comprend rien,
mais c’est un putain de chanteur. J’ai été en prison juste parce que j’ai voulu
suivre les Tympans Fêlés, dans une 4L, les menottes aux poignets, hein commissaire, 4 heures de dégrisement dans une
cellule, Tof ne dit plus rien, Fuck the law, GO ! Même que Nicolas c’est un putain de chanteur
écorché, un vrai artiste, mon frère d’une autre vie. Je ne bois plus de bière
depuis !
Je me vois assis sur mon lit, en face de Tof, ce musicien
compositeur interprète, l’homme à la guitare, ce poète, un type hors norme, un
écorché de la vie, nous deux créant l’avenir de la musique actuelle, one by one
by one. Tof je te dois mes textes, mes inspirations, mes délires, ma vie !!!!!
Je me vois courant dans ces rues armé de bombes de peinture, délirant sur les
blues brothers, goooooooo !!!! Je n’ai jamais autant appris à coté de toi,
mon frère, mon colloc, mon ami de toute une vie, toi ce musicien compositeur,
toi qui écrit des musiques juste pour dire OHHHHHHH !!!! Toi ce skin avec
tes docs, toi le militant des droits d’êtres humains, je me vois te serrant
dans mes bras, fuck the law ? Tu as disparu dans une secte priant un dieu
qui ne veut que ton malheur. Fuck !!! Je me vois en bas de ton appart
priant que tu sortes de cet enfer, Arggghhhhhhhhhhh Tof tu me manques
tellement, je ne reste qu’une moitié de moi sans toi. Toi ce musicien
compositeur poète disparu, go !!!!! Je me vois mort sans te retrouver,
putain quelle merde !!!!!
Je me vois assis sur mon canapé, un bout de pizza en travers
de la gueule en train de regarder Jack White sorti d’un dvd offert par ma fée,
j’ai les yeux grands ouverts, ce Jack White ce putain de musicien, le meilleur
de tous. J’entends mon fils me dire qu’il veut s’inscrire dans une putain d’école
pour devenir régisseur de son mais pas que… il veut devenir ingénieur de son,
un putain de type avec des oreilles hors normes. Il veut rentrer dans une école
pour avoir un DMA régisseur de son et après il veut entrer dans une spirale
pour être ingé son. Il me dit qu’il ne
veut pas vivre sans cette musique en permanence dans ses oreilles. FUCKKKKKKK .
C’est un putain de musicien avec un talent inespéré. Je me vois debout, dans
cette salle, sa mère et moi nous lui avons payé des cours de guitare, même que
sa prof de musique elle est un peu Rock’n’roll avec ses dreadlocks et son jean
troué, Roxane qu’elle s’appelle, une prof déjantée. Je me vois assis à la fête
de la musique, mon fils sur scène tenant fort sa Cort, sérieux c’est mon fils
qui joue là, cette gueule d’ange qui joue du Rock’n’roll, mon fils ce musicien.
J’ai reçu quelques années plus tard un sms de mon fils qui m’envoie une photo
de lui avec François le chanteur de Pigalle, ce chanteur que j’avais vu 26 ans
plus tôt en concert à Epinal, mon fils est en boîte avec ce putain de musicien
légendaire, un sacré bonhomme, mon fils ce musicien. Alors je continue de manger des pizzas mais je ne
sais pas si je dois pleurer de joie ou hurler de douleur. Je me vois assis sur
mon lit, les yeux dans les paumes de mes mains trempées, je pense qu’il y a eu une erreur de conception quand mon papa et ma
maman ont décidé de me concevoir, je suis tout gris au milieu de cygnes tous
blancs, je sais faire les jeux interdits sur une corde à la guitare, c’est déjà
ça.Je pense que je ne fais pas parti de cette famille d’artiste, il y a eu une
erreur. GAME OVER.